À propos
Un parcours libre
J’ai découvert et éprouvé l’« air » dans une série d’expérimentations et essais, tous in situ, en particulier à l’occasion de la célébration du Xe anniversaire des nouveaux bâtiments de l’ensa Nantes, marqué par la venue des architectes, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, et pour laquelle, nous avions conçu et réalisé avec Julien Jacob, une installation dédiée. L’ensemble de mes observations et réflexions portèrent alors sur les manifestations de l’« air» emplissant l’espace, phénomène qui produisit sur moi, ce qui s’avéra être : un puissant choc esthétique.
Ensuite, j’ai entrepris de rencontrer ceux qui œuvrent avec l’air en tant que plasticiens. Depuis, je travaille sans discontinuer, à l’exploration, à l’étude, à l’amplification et à l’expression de ce moment de découvertes « intuitives » et, sans cesse renouvelé d’étonnements saisissants. Au fil de mes rencontres et lectures, cette émotion singulière trouvera à s’exprimer, avec justesse, par le terme « sublime »1, tel que défini par Baldine Saint Girons, dans son ouvrage L’acte esthétique2, lequel s’attelle à décrire, analyser et exprimer, ce « souffle » qui illumine et que je cherche à laisser venir, à entretenir, à amplifier, à transmettre et à partager.
« Si le moment esthétique n’est pas passif, s’il suppose un acte, c’est qu’il relève un défi qui émane du monde. Je me répète souvent la formule de Bachelard : ‘’le monde est ma provocation’’. […] L’acte esthétique répond à cette provocation : il s’immisce dans le sensible, le retravaille et produit finalement une idée du réel plus riche, profonde, mieux ramifiée »3
C’est au cours de cette démarche exploratoire, que j’ai décidé d’adopter une « posture » dédiée à une « technique du sublime » pour l’architecture. Je me suis attaché dans ce mémoire à observer, documenter et décrire les potentiels de manifestation du « sublime», au niveau des villes et de leur territoire. À cette même occasion, j’ai amorcé une description de l’« émotion de la découverte » caractérisant l’événement, et l’avènement, du sublime, et des effets d’une observation passionnée sur le nécessaire soin à apporter au dessin de l’architecture. Cela m’a mené aux prémices de la formulation de ce qui constitue l’intention premièrede ma pratique architecturale et scénographique jusqu’à aujourd’hui, tendue par la nécessité d’instaurer les conditions d’un confort spatial à la recherche de la « tranquillité ». Je caractérisais cet essai comme une lutte contre les évidences dont celle de « l’illusion du savoir », coupée de l’expérience sensible et matérielle. Cette attitude confine au soin donné à l’« habité », à l’orientation et aux ouvertures, avec pour conséquence directe de laisser libres4 les habitants de percevoir intensément le réel, de les aider activement à lev ivre,et à imaginer des transformations, selon la « technique du sublime ».
Une méthode des phénomènes
Je suis animé par la conviction profonde et agissante que mon attitude face au « sublime » suggère que le choix du lieu d’installation est primordial. L’expression des phénomènes passe par une observation intense du réel. Nous désirons continuer de « voir le monde », et pour ce faire, choisir une place, un lieu, des espaces qui en permettent l’accès le plus direct, en prise avec le mouvement permanent et changeant du vivant. La ruralité est davantage faite d’altérité et de variation que n’offrent pas les villes, en particulier au plan des expressions saisonnales, aux transformations des qualités du sol, aux accès au ciel, etc. Les territoires urbains sont artificiellement plus constants : le sol des villes est permanent, l’eau fuie et est rejetée comme un déchet par des égouts, « rivières sans rives ». Les phénomènes sont cloisonnés, domestiqués, ou dissous dans d’invisibles et inaccessibles dessous. Cela suggère alors des attitudes inverses à initier en ville : réouverture des cours d’eau busés, résurgence en surface des eaux qui suivent le talweg des bassins-versants…
Nous désirons pouvoir penser en conscience que la fondation d’une construction engendre pour partie l’asphyxie et la mort du sol, ce qui pour nous, constitue une de nos plus grandes responsabilités, et donc un défi à relever. Afin de faire suite à nos trois années d’expérience de l’École Zéro, nous souhaitons établir cette école en un endroit qui la rende stable, tout en se tenant au cœur des changements saisonniers. Au sein de cette unique École d’architecture à la campagne (toutes les autres, en France, étant implantées en ville), sera développé et perfectionné un enseignement à la fois « conceptuel et pratique ».
Le moment fondateur de l’École Zéro est l’installation de son « lieu de vie », au cours duquel seront mis en place et en œuvre, tous les dispositifs et processus d’exploration du territoire, afin de révéler in situ, les conditions et nécessités de ce qui va permettre, faciliter et stimuler la vie humaine dans ce lieu, jusqu’à l’établissement du camp (campus) apte à satisfaire les besoins vitaux de chacun, en termes de confort, d’hygiène, de praticité et de fonctionnalité dans l’objectif d’en faire un lieu de formation, de réflexion, de création, d’échange, de construction…
Il ne s’agit pas de tenter, développer et promouvoir un projet d’autarcie, ni d’autonomie, l’association se concentre sur le fait de tisser le lien entre savoir-faire, matériaux, techniques, productions locales et la connaissance qui leur est associée. La pédagogie consiste à établir à l’aide d’allers-retourspermanents, le dialogue entre savoirs pratiques et connaissances théoriques, expérimenté dans le respect attentif, documenté, éprouvé et vécu du génie des lieux. Au lieu de privilégier un processus pédagogique, contraint à se limiter au seul engendrement permis, de disciplines et de contenus cloisonnés et « hors-sol », produits d’une culture architecturale sous cloche et sur étagère, nous faisons le choix d’un attachement aux sources émotionnelles de la pratique in situ (sensation, instinct, intuition, perception, observation…) en lien manifeste avec l’intelligence des mains pour éprouver et développer un enseignement basé surl’entraînement et l’expérimentation, attentif à l’émergeant (sérendipité), inscrit en permanence dans un dialogue théorique ouvert, contradictoire et fécond.
Ces éléments de l’architecture, de leur morphogenèse jusqu’à leur mise en œuvre sont tous mus par l’effet de forces diverses agissant sur eux et entre eux. Nous intégrerons nos perceptions d’un espace plein et révélerons les phénomènes physiques subis par la matière constructive y compris « élémentaire » (pierre, arbre, sol, feu, eau, air…) par la mise en œuvre de chaque matériau, en nous éloignant le plus possible des « facilités » du béton. L’emploi d’une matière à couler et à mouler est moins l’expression d’une compréhension du monde que peuvent l’être les matériaux : coupés, taillés, cousus, empilés, assemblés.
Benjamin Gallis
1 KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, Folio Essais, 1989, p.182. : « [le sentiment du sublime] est un plaisir que ne surgit que de manière indirecte, c’est-à-dire qu’il est produit par le sentiment d’un soudain blocage des forces vitales, suivi aussitôt d’un épanchement d’autant plus puissant de celles-ci ; en tant qu’émotion, le sentiment du sublime ne semble pas être un jeu mais une activité sérieuse de l’imagination. »
2 SAINT GIRONS Baldine, L’acte Esthétique, Klincksieck, Paris, 2008, p. 210
3 Ibid. p. 20
4 HENCKMANN Wolfhart, Remarques sur le concept d’expérience esthétique, Esthétique et Phénoménologie, Jean Michel Place, N°36, 1999, p.49-50. : « L’expérience esthétique est imprévisible, elle ne se laisse ni détecter ni programmer . […] celle-ci exclut par nature l’idée même d’un tel professionnalisme ».

